Rémi BACHELET
bachelet@ec-lille.fr, http://www.ec-lille.fr/rb
Neither market nor hierarchy : network
forms of organization (résumé/notes)
Walter W. POWELL 90
Research in organizational behavior
vol 12, pp. 295-336
Les organisations en réseau,
caractérisées par la réciprocité des échanges et des communications sont des
formes d'organisation viables. Nous comparons ces formes de gouvernance des
échanges avec celle de la hiérarchie et du marché et mettons en valeur ce qui
les en distingue. Nous concluons en discutant les conditions qui donnent
naissance à ces formes d'organisation.
Les dernières années ont vu une
quantité considérable de recherches sur les pratiques organisationnelles en
réseau. Cette littérature bien que diverse et appartenant à de nombreuses
branches de recherche, met l'accent sur des formes d'échange latérales, sur
l'interdépendance des flux de ressources et sur la réciprocité des communications.
Nous expliquerons d'abord pourquoi
le continuum marché - hiérarchie ne prend pas en compte les organisations en
réseau avant de distinguer les traits de chacune d'entre elles. Nous donnons
enfin une série d'arguments réfutables sur les conditions qui donnent naissance
aux réseaux..
Marchés et
hiérarchies
Dans son article de 1937, Coase en
rupture avec la vision de firme comme une fonction de production se présentant
comme une boîte noire, proposa de décrire la firme comme une structure de
gouvernance des échanges. Pour Coase, le marché et la firme sont des moyens
alternatifs d'organisation des transactions. Son travail resta pour ainsi dire
dans l'ignorance pendant quarante ans jusqu'à ce que Williamson et les
partisans de l'économie des coûts de transaction le reprennent dans les années
70. Ceux-ci croyaient à l'importance des formes organisationnelles et
rapprochèrent ainsi l'économie des champs du droit, de l'histoire économique et
de la théorie des organisations.
Le point-clé de la démonstration de
Williamson est l'idée que les transactions dont l'issue est incertaine, qui
sont fréquentes et qui demandent des investissements spécifiques tendent à être
réalisées à l'intérieur de hiérarchies. Les échanges simples, occasionnels et
ne demandant pas d'investissements spécifiques ont plus de chance d'être
réalisés par le marché.
Les transactions tendent donc à se
réaliser dans des hiérarchies lorsque la spécificité des ressources augmente
les deux raisons en sont
La vision dichotomique de Williamson
repose sur l'idée que les frontières des entreprises sont bien définies. Selon
Richardson (72) (ou Robertson control of industry vers 1930) les firmes sont
"des îlots de coordination consciente dans un océan de relations
marchandes". Elle est battue en brèche par le comportement des firmes qui
engagent des formes de collaboration mutuelle ne ressemblant pas plus à une
intégration verticale qu'à une relation de marché.
On a tenté de répondre à ce problème
par l'hypothèse selon laquelle les formes d'organisation ne répondraient pas
strictement au modèle du marché ou à celui de la hiérarchie, mais seraient
distribuées selon un continuum : En partant du pôle du marché où les prix
donnent toute l'information nécessaire, se trouvent des systèmes de
sous-traitance et autre formes d'échange répétés ; En se déplaçant vers le
pôle hiérarchique on trouve les accords de franchise, les 'joint ventures', les
centres de profit et le management matriciel.
Cette vision est-elle
satisfaisante ? C'est ce qu'affirme Williamson, tout en reconnaissant que
les transactions sont plus fréquentes aux pôles. Je ne partage pas cette vision
et je pense que la notion de forme hybride n'est pas satisfaisante, elle est
historiquement inexacte, trop statique et ne permet pas de prendre en compte de
nombreuses formes d'échanges viables.
Marchés,
hiérarchies et réseaux.
Lorsque les caractéristiques des
objets de la transaction sont difficilement mesurables, que les relations sont
si durables et récurrentes qu'il est difficile d'appréhender le fonctionnement
du système en en considérant les parties séparément les unes des autres,
peut-on toujours parler de relations marchandes ? mais alors qu'il n'y a
pas de propriété commune ni de mise en commun des ressources peut-on parler de
hiérarchie ?
Certaines formes d'échange se
déroulent dans un cadre social dépendant à la fois de relations, d'intérêts
communs et de la réputation. Nous cherchons à identifier un ensemble de
facteurs qui rendent possible de parler des réseaux.
De nos jours, les firmes ne sont
plus isolées, mais entretiennent un réseau dense de collaboration, parfois avec
des entreprises concurrentes. Les modèles stylisés du marché, de la hiérarchie
et du réseau ne sont pas des description parfaites de la réalité, mais elle
nous permettent de comprendre mieux la diversité des formes organisationnelles
actuelles.
La table suivant présente une
première description des différences entre marché, hiérarchie et réseau.
|
formes |
||
|
marché |
hiérarchie |
réseau |
base normative |
contrat -droits de
propriété |
relation salariale |
complémentarité |
moyens de
communication |
prix |
procédures |
relationnel |
méthode de
résolution des conflits |
droit et justice |
supervision
administrative |
réciprocité,
réputation |
degré de
flexibilité |
fort |
faible |
moyen |
degré
d'engagement réciproque des parties |
faible |
moyen à fort |
moyen à fort |
ambiance |
précision, soupçon |
formel,
bureaucratique |
ouvert, bénéfice
mutuel |
lien entre les
choix des acteurs |
indépendance |
dépendance |
interdépendance |
formes mixtes |
transactions
répétées (Geertz 78) contrats en tant que documents
hiérarchiques (Stinchcombe 85) |
organisation
informelle (Dalton 57) caractéristiques de marché, centre
de profits, prix de transfert (Eccles 85) |
partenaires
multiples règles formelles hiérarchies de statut |
Dans l'organisation, la "main visible du management"
de Chandler supplante la "main invisible du marché" de Smith. Les
individus opèrent à l'intérieur d'un régime de procédures administratives et
d'emplois. Le management divise et répartit les tâches, il met en place un
système d'autorité. Les tâches étant souvent spécialisées, les activités sont
souvent fortement interdépendantes. La structure hiérarchique matérialisée par
des frontières entre départements, des mécanismes de contrôle et des procédures
de prise de décision est particulièrement adaptée à la production en masse. La
force de l'organisation hiérarchique repose dans sa capacité à produire des
biens en grande quantité, de qualité constante et à suivre l'utilisation de ses
ressources (Di Maggio & Powell 83 'iron cage').. Lorsqu'elles sont
confrontées à une demande fluctuante, et à des changements imprévus, les
hiérarchies sont particulièrement vulnérables.
Les réseaux sont plus flexibles, les échanges ne
s'y font ni à travers des transactions strictement délimitées, ni par des
décisions administratives, mais par des individus engagés dans des actions
réciproques, affinitaires et dont les bénéfices sont partagés. Les réseaux
peuvent être complexes : ils ne fonctionnent ni sur le critère
explicite du marché, ni selon celui de la hiérarchie. L'hypothèse de base du
réseau est le contrôle des ressources nécessaires à l'une des
parties par l'autre et la possibilité de faire des économies en mettant en
commun des ressources. Les parties engagées dans une relation de réseau
diffèrent leur droit de rechercher leur propre intérêt au détriment de celui
des autres. L'allocation des ressources se fait non en fonction des individus,
mais selon les relations qu'ils entretiennent. Ces relations sont coûteuses à
entretenir et elles limitent donc les capacités des individus à s'adapter. Il
en résulte une orientation mutuelle (définie comme que chaque partie attend de
l'autre par rapport à la connaissance d'elle même qu'elle attend de sa part).
La multiplicité des liens créés : réputation amitié, altruisme,
interdépendance devient partie intégrante de la relation.
Les réseaux sont particulièrement
efficaces dans le traitement de l'information. Les variations des prix sur les
marchés, pas plus que les procédures formelles des hiérarchies ne véhiculent
les informations les plus pertinentes. Kaneko et Imai (87) suggèrent que l'information
véhiculée par les réseaux est plus riche ('thicker') que celle des marchés et
plus libre que celle des hiérarchies. Les réseaux permettent donc mieux
l'échange de biens difficilement quantifiables : savoir, style, esprit,
philosophie. Les caractéristiques ouvertes et l'absence de normes améliorent
grandement la capacité des réseaux à transmettre connaissance et savoir-faire.
La réciprocité est un point important dans les réseaux,
mais il est ambigu et abordé différemment selon les disciplines. Un des points
discutés est celui de l'équivalence. La théorie des jeux insiste sur ce dernier
point : la réciprocité ne s'explique que dans le cadre de la poursuite des
intérêts des acteurs. Axelrod (84) définit la réciprocité comme impliquant de
retourner aussi bien le bien que le mal. Dans les sciences humaines, on insiste
sur l'endettement que créée le don et sur l'obligation de maintenir un lien qui
en résulte, mais également sur le fait qu'invoquer ouvertement la nécessité de
l'équivalence peut être péjoratif quant à la relation elle-même. Dans son
travail sur 'le don' Marcel Mauss (1925) tente de montrer que l'obligation de
donner, recevoir et rendre n'est pas seulement le fruit de conduites
rationnelles, mais doit être analysée en termes culturels et de production de
sens. En somme, les approches anthropologiques insistent sur les normes selon
lesquelles se déroule l'échange alors que la théorie des jeux insiste sur
l'intérêt que la coopération présente pour les individus.
Une perspective de long terme est
éclairante. Axelrod (84) propose le concept "d'ombre de l'avenir" qui
représente l'importance de la prise en compte par les acteurs de l'avenir dans
le calcul de leur intérêt.(..) La confiance rend la réalité moins complexe
beaucoup plus facilement que ne peuvent le faire la prévision, l'autorité ou le
marchandage.
Pourtant, les réseaux ne se
caractérisent pas seulement pas des relations de collaboration. La réciprocité
ne protège en aucune manière de considérations de pouvoir. Les réseaux peuvent
être difficiles d'accès (sérail?), Il peuvent inclure des relations de
dépendance. Dans les exemples que je donne, toutes les parties prenantes du
réseau ont perdu de leur indépendance.
Études de cas
Les
industries 'de projet', comme la construction, l'édition, les studios
Les districts
industriels : les textiles allemands, l'Émilie italienne,
Le succès
des districts industriels comme la route 128 et
Les alliances
et partenariat stratégiques
La
'désagrégation verticale'
Origine des
réseaux
Les exemples ne fondent pas une
théorie et les données qualitatives sont toujours vulnérables à l'accusation
d'être présentées tendancieusement. Nos études de cas sont cependant plus que
des anecdotes, l'histoire qu'elles content est cohérente et permet de
comprendre mieux les circonstances qui donnent naissance aux réseaux. Elles
définissent clairement le réseau comme une forme d'action collective dans
laquelle
Nos études de cas suggèrent que les
conditions qui donnent naissance aux réseaux sont multiples, ce n'est cependant
que dans une minorité de cas que la minimisation des coûts de transaction est à
leur source. La plupart du temps, ce sont des considérations stratégiques comme
la volonté d'accéder à un savoir-faire externe, apaiser les inquiétudes de
groupements d'intérêts ou parfois même de changer la nature même de la
compétition internationale. Parmi les formes que nous avons mises en évidence,
beaucoup augmentent les coûts de transaction, mais procurent en retour des
bénéfices qui compensent largement cette perte notamment l'accès amélioré à
l'information, la fiabilité, la réactivité. Une attention exclusive à la
transaction aux dépends de la relation - comme fondement de l'analyse sépare le
comportement de son contexte politique, social et historique.
Facteurs
favorisant l'émergence des réseaux
La diversité des formes réticulaires
implique t-elle une idiosyncrasie si forte que l'on ne puisse distinguer les
conditions génériques qui lui donnent naissance ? Nous nous proposons de
formuler de façon réfutable trois facteurs allant dans ce sens.
Le
savoir-faire
De nombreux emplois sont fondés sur
un savoir-faire intellectuel ou artisanal qui est le fruit d'années d'études et
d'expérience. Le savoir-faire implique repose sur des connaissances
particulièrement difficiles à codifier, ce type de ressource est également très
mobile. Ces personnes préfèrent travailler dans un environnement qui ne leur
est pas imposé ou dicté. De fait les marchés et les hiérarchies peuvent perdre
de leur efficacité lorsque leur ressources les plus précieuses - les individus
- choisissent de les quitter. Les réseaux qui fonctionnent sur la réciprocité
et la communication entre égaux sont particulièrement adaptés à de tels individus.
Ils apparaissent donc lorsque les connaissances ne se prêtent pas à un contrôle
monopolistique ou à une domination du plus riche.
De même que le marché apparaît
lorsque les ressources sont substituables, les réseaux apparaissent lorsque les
activités sont fortement complémentaires (pour être réalisées ou pour faire
face à l'incertitude), la relation est alors plus à même de mener à un partage
des informations importantes et à l'augmentation de la confiance.
Les réseaux devraient donc être
plus fréquents dans les milieux où le savoir-faire est un facteur important.
La rapidité
Est une nécessité dans un
environnement de plus en plus concurrentiel. La mise en commun des ressource et
des coûts permet de réduire les risques et de développer des produits à cycle
de vie court. Pour Porter et Fuller (86) les partenariats permettent de changer
de configuration plus rapidement, de façon plus réversible et moins onéreuse
que les fusions.
Kaneko et Imai (87) insistent sur le
fait que les réseaux ont des propriétés dynamiques qui leur permettent
d'enrichir l'information qu'ils font circuler : ni les communications
verticales dans les hiérarchies ou l'achat d'information sur les marchés ne
peuvent le faire : le modèle de contrôle de l'information qu'ils proposent
s'oppose à la fois à la liberté de circulation de l'information et à sa
richesse. Des connaissances peuvent être mises en relation, et peuvent donner
lieu à débat.
Les réseaux devraient donc être
plus fréquents dans les milieu où la rapidité est nécessaire.
La confiance
Certaines de nos études de cas par
exemple celle sur les districts industriels suggèrent que certains milieux
favorisent la collaboration. Axelrod (84) a démontré les conséquences
d'interactions répétées entre individus. "l'ombre" d'une association
à venir incite à la coopération. La réputation pèse lourd dans certains réseaux
à cause de l'absence de distinction entre le travail de l'individu et sa
personne. Un contrôle hiérarchique est devient d'autant moins utile. Le
contrôle effectué par les pairs est également beaucoup plus efficace que celui
des supérieurs. Le consensus se substitue alors aux règles et aux procédures
formelles.
Les réseaux devraient donc être
plus fréquents dans les milieux où les individus ont des points communs. Plus
le groupe est homogène, plus la confiance est forte. Lorsque cette homogénéité
est moins importante, les relations deviennent plus calculées et plus
formelles.
Voies de
recherche (en quelques mots)
Note de Powell :
Bob Eccles et Mark Granovetter insistent
sur le fait que toutes les formes d'échange contiennent des éléments de réseau,
de marché et de hiérarchie. Je devrais les écouter puisqu'ils sont plus
intelligents que moi. Cependant j'espère montrer qu'il est utile de définir le
réseau comme une structure de gouvernance identifiable empiriquement.