Introduction

 

 

Le phénomène économique majeur des années quatre-vingts restera la montée en puissance de l’économie financière. Celle-ci a pour origine une vague de réformes allant de la libre circulation des capitaux au lancement de nouveaux produits financiers. Ce bouleversement est amplifié par les progrès des technologies de l’information et de la communication. L’économie financière a ainsi connu une expansion soutenue qui ne s’est pas ralentie depuis le début des années 90. À titre d'exemple, le volume des transactions quotidiennes sur le marché des changes se monte désormais à 1500 milliards de dollars en moyenne, l'équivalent du PIB de la France.

L'apparition des salles des marchés en France, qui remonte au milieu des années quatre-vingt, coïncide avec ce train de réformes des marchés financiers. L'accès direct aux marchés financiers est l'une des conséquences de ces changements : les entreprises à la recherche de capitaux ont la possibilité de les lever sans s'endetter auprès des banques. C'est pourquoi les institutions financières se sont trouvées contraintes de développer rapidement leurs activités de marché.

Les salles des marchés

Pour cela, les banques du monde entier se sont inspirées du modèle des "trading rooms" de Londres, New York ou Chicago qui consiste à rassembler toutes leurs activités de marchés sur un plateau de grande superficie. Au fil des années, les services spécialisés dans les transactions sur actions, obligations et devises ont donc été regroupés dans une même salle et coiffés par une "Direction des marchés de capitaux" unique.

Grâce à l'organisation en plateau, le client de la salle peut avoir accès à tous les marchés financiers simultanément. Les banques quant à elles deviennent plus réactives dans la gestion de leur trésorerie, elles s'ouvrent la possibilité de réaliser des montages financiers et de tenter de faire du profit pour leur compte propre sur les différents marchés. Cependant, plusieurs obstacles doivent être surmontés :

Et cependant, des dizaines d'opérations sont effectuées à chaque minute. Ainsi, la salle des marchés d'une grande banque rassemble souvent plusieurs centaines d'opérateurs, nombre d'entre eux brassant plus d'un milliard de francs par jour.

Comment comprendre le fonctionnement d'une salle des marchés ?

Comment appréhender le fonctionnement d'une salle des marchés ? Quels concepts peut-on mettre en oeuvre pour analyser son organisation ? Notre recherche appartient à la famille des études de définition et non à celle des études de causalité : nous ne chercherons pas à mettre en relation des facteurs de contingence et la structure d'organisation des salles, mais d'abord à construire une représentation de leur fonctionnement.

Bien qu'attirant les feux de l'actualité, les salles des marchés constituent une forme d'organisation encore inexplorée par les sciences de gestion. Or, celles-ci ne peuvent que bénéficier de l'apport des avancées réalisés dans les domaines voisins que sont la sociologie des organisations et l'économie. Nous élargirons donc notre revue de littérature en y intégrant notamment des éléments issus de l'économie des institutions, de la sociologie et de la théorie des organisations.

Nous conduirons notre recherche à travers une approche empirique apparentée à la 'field study' :

Problématique

Les salles des marchés peuvent-elles être appréhendées selon un modèle d'organisation unique ? Notre questionnement sur la "nature de l'organisation" nous a conduit à formuler notre problématique à partir des trois modèles canoniques de l'action organisée que sont l'appareil, le marché et le réseau. À la suite de Max Weber, nous nous proposerons de construire notre réflexion autour d'idéaltypes. Nous définirons ainsi les idéaltypes du marché de l'appareil et du réseau :

En déclinant ces idéaltypes et à partir de leur cohérence interne, nous établirons une grille d'analyse spécifiant notamment les modalités de gestion des risques dans l'organisation. C'est à travers cette grille que nous discuterons notre hypothèse centrale selon laquelle les salles des marchés constituent des organisations plurielles.

Signalons pour finir que ce travail de recherche à été réalisé dans le cadre d'une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (ou convention Cifre) et d'un contrat de recherche entre la Caisse Nationale de Crédit Agricole et le Centre d'Études et de Recherche en Sociologie des Organisations (CERSO) de l'université Paris IX-Dauphine.

Canevas de la thèse :

 

Première partie : Une exploration des salles des marchés

 
 

Qu'est-ce qu'une salle des marchés ?

Ce chapitre exploratoire est l'occasion d'un tour d'horizon des phénomènes qui accompagnent l'apparition des salles des marchés, leur développement et leur fonctionnement quotidien.

  • Pour cela, nous nous attacherons à expliciter ce qu'est la globalisation financière et la mission première des salles, qui est de prendre des décisions d'achat et de vente sur ces marchés.
  • Puis nous proposerons une relation 'de première main' de la journée d'un trader sur le marché des changes
  • Enfin, nous tenterons d'estimer l'ampleur du phénomène "salles des marchés" dans le monde.

À l'issue de ces considérations, nous examinerons les caractéristiques saillantes des salles des marchés et formulerons la question de départ de notre recherche "Comment appréhender le fonctionnement des salles des marchés ?". Enfin, nous proposerons un lexique des termes spécifiques aux salles des marchés.

 

 

Deuxième partie : étude de la littérature

 
 

Appareil, marché, réseau : un référentiel pour appréhender l'organisation

Appareil, marché, et réseau constituent un référentiel permettant d'appréhender l'organisation complexe. Nous montrerons au cours de ce chapitre comment les chercheurs en sciences des organisations, pour progresser dans leur connaissance des entreprises, en ont été conduits à aborder l'organisation à partir de ces trois formes.

Ce chapitre s'articule en deux parties :

  • Une exploration de la littérature, essentiellement axée sur les avancées récentes de l'économie des institutions. Nous lions la genèse de notre problématique à la question fondamentale de "la nature de la firme".
  • Nos options fondamentales étant posées, nous procédons à une clarification des choix qui présideront à notre étude, en particulier la mise en oeuvre d'une vision intégrationniste de l'organisation.
 

 

Appareil, réseau et marché dans la littérature

Nous nous attacherons à isoler les éléments qui permettent définir nos trois formes en tant que structures sociales concrètes. Nous ne chercherons pas à procéder à une revue de littérature exhaustive, mais d'abord à découvrir les traits de ces trois formes qui nous permettrons de les constituer ultérieurement en tant qu'idéaltypes. Le travail de Weber sur la bureaucratie, qui ouvrira cette réflexion, sera également mis à contribution dans l'exploration des autres formes : la 'communauté de marché' et l'organisation collégiale.

  • La vision de l'organisation en tant que construction maîtrisée et rationnelle sera notre point de départ. En effet, la nature archétypique de l'appareil en fait la "pierre de touche" de toute réflexion sur l'organisation.
  • La construction du marché partira des fondateurs de l'économie classique que sont Smith, Walras et Arrow, pour ensuite relativiser ce modèle du 'marché parfait'.
  • La fortune du concept de réseau est plus récente nous décrirons comment il s'est dégagé de son acception textile pour s'enrichir de la notion de circulation et finalement acquérir un sens social.

En conclusion, nous aborderons le problème des relations entre formes d'organisation telles que les envisagent Mintzberg et les économistes de la grandeur.

 

 

 

 

Troisième partie : Problématique

 
 

Problématique et construction des idéaltypes

Quelle est la perspective théorique présidant à la problématisation de notre question de recherche ?

Rappelons que notre travail ne constitue pas une étude de causalité, il ne cherche pas à analyser les facteurs influant sur l'organisation des salles, mais vise à parvenir à une meilleure compréhension de leur fonctionnement.

Nous serons donc conduit à opter pour l'approche système qui est synthétique plutôt qu'analytique et à mettre en oeuvre le concept d'idéaltype tel que Max Weber le définit. Pour expliciter les interrelations entre les idéaltypes du réseau, de l'appareil et du marché , nous aurons recours à notion de dialogique.

Mais comment expliciter les différences entre ces idéaltypes ? Nous choisissons pour cela de prendre avantage de la propriété d'équifinalité des systèmes ouverts. Nous reformulons ainsi appareil, réseau et marché à partir de certaines des dimensions par lesquelles on peut mettre en relief leurs différences : la régulation, la coordination et l'adaptation du système.

 

 

Les salles des marchés en tant qu'objet d'étude

Comment le nouvel arrivant dans un 'front-office' peut-il comprendre les fondements de son activité ? L'observation en salle des marchés s'applique à un objet émergent et original. Elle ne peut donc se dispenser de poser les concepts spécifiques à ce milieu. Nous conduirons cette construction de l'objet d'étude "salle des marchés" en trois temps :

  • Tout d'abord nous situerons les salles des marchés dans les relations qu'elles entretiennent avec leur environnement interne et externe à l'établissement qui les abrite.
  • Ensuite, nous avancerons trois notions permettant de décrire l'activité interne d'une salle des marchés : celle de position, celle de corrélation des instruments financiers et celle de desk, définie à partir d'une grille d'analyse associant métiers et produits.
  • La dernière partie de ce chapitre sera consacrée à l'exploration de la notion de risque.
 

 

Modèle d'analyse et hypothèses

Les salles des marchés sont des organisations plurielles : telle est notre hypothèse centrale. Pour la développer, nous montrons comment les idéaltypes permettent, chacun à leur manière, d'établir un cadre de gestion du risque. Cette "déclinaison logique" des idéaltypes permet de décomposer notre hypothèse centrale en quatre sous-hypothèses.

  • La première comporte une série de conjectures sur les caractéristiques individuelles des systèmes de gestion des risques mis en oeuvre à travers l'appareil, le réseau et le marché.
  • La deuxième examine les interactions entre formes d'organisation prises deux à deux
  • La troisième met en évidence la dialogique entre idéaltypes.
  • Enfin, notre quatrième hypothèse est l'occasion de tirer les conséquences de nos résultats. Les particularités des salles des marchés peuvent-elles être mises en relation avec leur nature plurielle ?
 

 

 

 

Quatrième partie : protocole d'investigation et résultats

 
 

Méthodologie et protocole de recherche

Nous regroupons dans ce chapitre les éléments relevant de notre méthodologie de collecte d'informations et de sa mise en application. Après avoir questionné l'adéquation de notre processus de recherche à notre problématique et délimité notre terrain d'étude, nous reprenons par ordre chronologique les différentes démarches d'investigation que nous avons mises en oeuvre:

  • La phase d'exploration des milieux financiers,
  • Nos trois années d'observation participante dans une salle des marchés,
  • La campagne d'entretiens sur les places financières de Londres, Paris et Hong Kong.

Nous tentons ensuite d'établir un bilan de notre investigation. La mise en oeuvre de différentes démarches permet-elle de 'trianguler' les données collectées ? En quoi notre protocole de recherche s'apparente t-il à la 'field study' ? Ce chapitre est enfin l’occasion d’éclairer notre ‘posture de recherche’ : quelle est notre relation au 'terrain' ?

 

 

Analyse des données et vérification de la pertinence des formes de gestions du risque

Comment traiter les informations riches et abondantes que nous avons rassemblées ? La démarche de dépouillement que nous avons sélectionnée à cet effet est inspirée de la "grounded theory".

À l'occasion de la discussion notre première hypothèse, nous confrontons nos résultats avec les conjectures détaillées que nous a permis d'établir notre modèle d'analyse : la pertinence des idéaltypes dans la compréhension des dispositifs de gestion des risques en salle des marchés est démontrée. Considérés individuellement, ceux-ci présentent cependant de nombreuses lacunes : incapacité à faire face aux situations complexes pour l'appareil, flou du réseau, échecs du contrôle pour le marché.

 

 

La gestion des risques comme produit de l'interaction entre marché, appareil et réseau

En dépit des lacunes des idéaltypes étudiés dans notre précédente section, les salles des marchés restent un lieu où se prennent quotidiennement de très nombreuses décisions portant sur des flux se montant à des milliards de francs et ce, en commettant peu d'erreurs. Nous soutenons que cette 'propriété émergente' des salles a pour origine, non les formes du réseau, du marché et de l'appareil telles qu'elles sont mise en oeuvre individuellement, mais leur interaction mutuelle

Dans notre première hypothèse, la logique déductive présidant à la construction de nos idéaltypes nous a permis de formuler des conjectures précises sur leur caractéristiques. La discussion de notre deuxième hypothèse est plus ouverte dans la mesure où il est difficile d'anticiper la nature exacte des interactions entre les idéaltypes d'organisation. Notre démarche est donc plus exploratoire : nous nous servons des idéaltypes comme grille interprétative des phénomènes observés.

L'analyse des données relevant de notre troisième hypothèse se fait essentiellement à partir de deux problèmes d'organisation auxquels tous les grands intervenants financiers sont confrontés

  • Celui de la maîtrise du risque déontologique par les "murs de Chine", qui vise à prévenir les conflits d'intérêts au sein de la salle,
  • Celui de l'organisation en "lignes produits", qui permet de faire fonctionner une organisation globale coordonnant les salles des marchés des établissements répartis sur différents fuseaux horaires.

Enfin, notre quatrième hypothèse est l'occasion de mettre en avant les particularités des salles des marchés : le mouvement de réorganisation continuelle dont elles sont le théâtre et leur spécificité par rapport aux autres organisations.

 

 

Conclusion

Nous y établirons un bilan de notre recherche en reprenant dans leurs grandes lignes les fondements de notre étude, les moyens théoriques et pratiques que nous avons mis en œuvre pour la réaliser et les résultats obtenus.

Finalement, nous tenterons de cerner les apports de connaissance que nous proposons et leurs limites, ainsi que certaines pistes de recherche.