1. Méthodologie et protocole de recherche

 

 

 

Dans le modèle classique de la recherche, la phase d'observation est une étape intermédiaire entre la construction du modèle d'analyse et l'examen des données choisies pour le tester. Dans la recherche que nous avons menée, il n'en est rien. Nous avons été conduit à entrer en contact avec notre terrain dès le début de notre recherche. L'observation s'est donc déroulée en même temps que la construction de notre objet d'étude.

La nécessaire clarté de l'exposé, nous conduit toutefois à regrouper dans ce chapitre les éléments relevant de notre démarche de recherche et de sa mise en application.

 

Après avoir questionné l'adéquation de notre processus de recherche à notre problématique et délimité notre terrain d'étude, nous reprenons les différentes démarches d'investigation que nous avons mises en oeuvre par ordre chronologique :

Nous tentons ensuite d'établir un bilan de notre investigation. La mise en oeuvre de différentes démarches permet-elle de 'trianguler' les données collectées ? Notre protocole de recherche s'apparente t-il à la 'field study' ? Ce chapitre est enfin l’occasion d’éclairer notre ‘position de recherche’ : quelle est la relation du chercheur avec son terrain ?

 

 

Méthodologie et protocole de recherche

1. Une vocation exploratoire

1.1. Une étude de définition

1.2. Recherche descriptive ou exploratoire ?

2. Le terrain d'étude : les grandes salles des marchés

3. Déroulement général de la recherche

4. Phase exploratoire

4.1. La prise de contact

4.2. Après l'embauche à la CNCA

5. Observation participante en salle des marchés

5.1. L'intégration en tant qu'informaticien de marché

5.2. Une démarche ethnographique

5.3. L'identification du chercheur à son terrain et son statut.

6. Campagne d'entretiens

6.1. Mise au point d'un guide d'entretien

6.2. L'accès aux acteurs des salles et l'obtention des entretiens

6.3. Conduite des entretiens et validation

7. Cohérence du protocole : de la triangulation à la 'field study'

7.1. La triangulation

7.2. Recherche de terrain et 'posture de recherche'

7.3. Conclusions

8. Bibliographie

8.1. Articles et ouvrages

8.2. Séminaires de recherche

 

 

    1. Une vocation exploratoire
    2. Le but de cette première partie est de réfléchir sur la mise en cohérence entre les objectifs de notre recherche et la démarche que nous mettons en oeuvre pour confronter au terrain notre problématique. Nous ne cherchons pas ici à donner l'impression que nous avons entièrement mis au point notre plan de recherche avant de le mettre en oeuvre. Celui-ci s'est au contraire construit au fur et à mesure de notre interaction avec le terrain.

      1. Une étude de définition

Cependant, quelque "enracinée" et empirique que soit la démarche du chercheur, son étude doit nécessairement être le reflet d'une cohérence : de même notre problématique veillait-elle à établir un modèle épistémologiquement légitime et satisfaisant aux critères de cohérence interne, de même nous faut-il penser à la cohérence du protocole de recherche avec la nature des questions que nous nous posons. S'agit-il de définir un objet de recherche, de préciser sa structure ? S'agit-il d'étudier son fonctionnement, son évolution ? S'agit-il enfin d'étudier la relation entre sa structure et son fonctionnement ? Chaque catégorie de questions appelle des réponses et des types de recherche propres. Liu distingue ainsi trois types de recherches dans les sciences de l'homme : les études de définition, les analyses causales et les analyses téléonomiques.

Notre démarche vise la compréhension d'un phénomène. Par là on peut l'apparenter à une étude de définition. Il s'agit de distinguer un phénomène nouveau et de rendre intelligible son fonctionnement. Le contexte très dynamique des salles des marchés laisse supposer qu'un travail important de "construction de la réalité organisationnelle" est actuellement en cours dans ce secteur. Quelles sont alors les questions et les problèmes prioritaires ?

      1. Recherche descriptive ou exploratoire ?

Nous avons montré l'importance que nous accordons à la cohérence entre notre problématique et notre plan de recherche en précisant la nature et l'esprit de la démarche de collecte de donnée que nous décrirons ci-après. Il nous reste toutefois à spécifier plus finement le statut que nous accordons à notre recherche. Nous le ferons à travers une deuxième étude de la littérature sur les méthodes de recherche qualitatives : dans leur contribution à la 'case research', Post et Andrew distinguent quatre catégories de recherche en fonction de la direction de l'effort de recherche. S'agit-il de décrire, d'explorer, d'expliquer ou de prédire ?

Post et Andrew résument leur typologie comme suit :

Type de recherche

Question

Usages principaux

Descriptive

Que se passe t-il ?

Développer empiriquement les fondements d'une étude à venir. Illustrer une théorie

Exploratoire

Comment l'organisation fonctionne t'elle ?

Étude pilote permettant de structurer une étude plus large. Permet de clarifier les variables en cause.

Explicative

Quelle est l'origine de.. ?

Construire une théorie en testant des hypothèses.

Prédictive

Que se passera t-il si.. ?

Tester et vérifier des hypothèses.

Vue au travers de cette nouvelle grille, notre situation est ici plus difficile à établir de façon univoque.

Quelle que soit la nature de la démarche, la capacité d'ouverture et de prise en compte d'éléments nouveaux est primordiale.

    1. Le terrain d'étude : les grandes salles des marchés

Nous avons distingué au fur et à mesure de notre exposé un certain nombre de traits caractéristiques des salles des marchés. À partir d'une récapitulation de ces traits, nous allons poser la question de leur application concrète : quel est pour nous le champ d'observation adapté ?

Comme nous l'avons démontré, une salle des marchés est tout à la fois :

Dès lors, les phénomènes suivants sont 'en marge' de notre étude plus qu'à son centre

Notre étude se focalise donc sur les salles des marchés des grands intervenants que sont les établissements financiers internationaux.

    1. Déroulement général de la recherche

Les bornes que nous fixons à notre travail d'investigation sont donc les suivantes :

Le déroulement de la recherche est donc guidé par ces objectifs. À cet effet, l'ensemble des opérations que nous avons mené peut se résumer comme suit :

Périodes / phases de la recherche

Exploratoire

Apprentissage

Observation participante

Expérience / acculturation

Entretiens

Généralisation

De septembre à février 94

Début de convention Cifre en novembre.

Intervenants individuels sur les marchés boursiers :

Une dizaine d'heures de visite et d'entretiens

   

Entre mars 94 et mars 95

 

3 stages de formation

 

Février 94 à mars 95

(1 an)

 

Développement par prototypage de trois logiciels pour les desks 'Change Forward' et 'Change Spot'.

 

Avril 95

 

Maintenance des applications installées

Hong Kong :

5 h d'entretiens avec 6 personnes

Août 95 à novembre 95

   

Paris :

21h30 d'entretiens avec 14 personnes

Décembre 95

   

Londres :

8h d'entretiens avec 11 personnes

Mai 96

   

Londres :

7h d'entretiens avec 9 personnes

Comme c'est souvent le cas dans les études exploratoires, il nous est impossible d'étudier intégralement la population de notre périmètre d'étude. Puisque nous visons à travailler en profondeur, l'observation participante et la conduite d'entretien sont mis en avant, mais sans que nous ne nous y limitions. Il s'agit avant tout de progresser dans notre connaissance par tous les moyens disponibles : travail sur la littérature scientifique bien sûr, mais aussi à partir de périodiques, de séminaires de formation, de films... par contre, certaines méthodes de collecte, comme par exemple l'enquête par questionnaire se sont révélés inappropriées de par l'objet même de notre étude.

La publication des entretiens que nous avons menés pose par contre problème dans la mesure où la confidentialité est indispensable à la collecte des informations. Nous citerons donc des éléments collectés, mais sans identifier leur auteur. Le fichier de synthèse de nos entretiens ne sera donc pas communiqué. En revanche, nous inclurons dans une annexe confidentielle la liste détaillée des personnes que nous avons rencontrées et des circonstances.

Il nous reviendra également dans ce chapitre de questionner la qualité de notre accès au terrain. Ce problème s'est en effet posé du début à la fin de notre collecte de données. La question de l'accès aux salles des marchés est un problème en soi. De nombreux obstacles doivent être levés : les traders sont souvent surchargés de travail et très peu disponibles, le milieu des marchés utilise un langage hermétique au profane, les informations circulant dans les salles sont souvent considérées comme confidentielles…

Nous avons de ce fait adopté une approche en deux temps. À l'issue d'une phase de définition de la recherche, postulant que le meilleur moyen d'entrer en contact avec des professionnels des salles des marchés était de travailler avec eux, nous nous sommes fait embaucher comme ingénieur de marché dans une grande banque. Durant cette année d'observation participante nous avons constitué et validé notre objet d'étude à travers des concepts comme ceux de position, d'interdépendance des produits et établi une grille d'analyse des métiers exercés par les opérateurs. Cette première période nous a également permis, en sus de notre apprentissage du 'métier', d'obtenir des contacts et des recommandations. Ainsi, dans un deuxième temps, nous avons pu accéder à d'autres salles des marchés sur les places financières de Paris, Hong Kong et Londres. Nous y avons conduit une série d'entretiens semi-directifs, d'élargissant par là considérablement nos observations du fonctionnement des salles.

    1. Phase exploratoire

La phase exploratoire de notre recherche s'est déroulée sur environ six mois. Mais il est nécessaire de revenir brièvement sur les semaines qui la précèdent : l'origine de notre recherche remonte à avril 1994. À cet époque commence un travail de sondage auprès d'établissements bancaires susceptibles d'accueillir notre thèse. Notre premier entretien à la CNCA date du 30 avril. L'élaboration écrite d'une première proposition se fait dans le courant du mois de mai. On est encore loin de ce que sera notre problématique : les questions posées portent sur l'amélioration de l'environnement informatique des traders ou sur le contrôle des risques par les back offices.

C'est sans doute là qu'il faut voir le tout début de notre phase exploratoire. Mais aucun travail méthodique ne commencera avant septembre. Ce dernier mois est consacré à la mise au point d'un dossier de convention Cifre. Parmi les questions de départ apparaît notamment l'examen de l'impact d'un système informatique en projet et destiné à relier les succursales du Crédit Agricole à New York, Chicago, Londres, Hong Kong et Paris et une réflexion plus générale sur les difficultés de formaliser les besoins des salles en matière de systèmes d'information.

Nos activités exploratoires proprement dites sur ces six mois se répartissent essentiellement en deux périodes :

      1. La prise de contact

Partant d'une formation d'ingénieur en Génie Industriel, la qualité du contact avec les milieux financiers n'était par tenue pour acquise. Une fois défini l'objectif d'une familiarisation avec le monde de la finance, plusieurs problèmes se posaient. L'acquisition d'une compétence financière minimale d'une part, mais surtout, puisque nous avions vocation à faire une étude empirique, celui de l'accès au 'terrain'.

À l'issue cette période nous sommes arrivé en poste au Crédit Agricole avec déjà une petite pratique de la finance et en ayant acquis des éléments de connaissance empirique des préoccupations des opérateurs et de l'atmosphère des salles des marchés.

      1. Après l'embauche à la CNCA

Le 8 novembre 94, nous sommes entré à la Caisse Nationale de Crédit Agricole dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de 3 ans. Le service que nous avons intégré, ESI/MK appartenait à l'époque au département des études informatiques. Il était consacré exclusivement à la mise en place et à la maintenance des applications front office et back office de la Caisse Nationale.

Au long de ces premiers mois, l'essentiel de notre temps a été consacré à l'intégration dans la banque et dans le service : nous avons examiné l'architecture applicative globale de la salle, appris le maniement des logiciels couramment utilisés, assisté à des réunions de service... Notre position était celle d'un 'jeune cadre'.

Du point de vue documentaire, nous nous sommes rendu entre autres dans les centres de documentation de la COB, de la Banque de France, de HEC et de Dauphine. Cela nous a amené à consulter la presse financière. Ces sources ne se sont pas révélées entièrement satisfaisantes, dans la mesure où elles ne traitent que des marchés financiers - ou alors les systèmes d'information commercialisés -, mais sans aborder le problème de l'organisation autrement qu'indirectement. Nous avons donc conduit une recherche de documentation plus diversifiée, en particulier à partir de rapports de stages en salle des marchés et en pratiquant un logiciel de formation au trading : Forex Simulator. Enfin nous avons durant cette première période suivi un séminaire de formation à l'INSIG, consacré aux "nouveaux instruments financiers".

Durant ces mois, la formulation de notre projet de recherche a beaucoup évolué en se confrontant aux réalités du fonctionnement de l'établissement. Le projet de système informatique communs aux différentes salles de la Caisse Nationale de Crédit Agricole à travers le monde a été abandonné et nous avons perçu tout l'intérêt de problématiser notre recherche, non seulement à partir de thèmes comme la décision ou le traitement des données, mais aussi en prenant en compte la cohérence globale de l'organisation. l'approfondissement d'un thème donné ne devant être considéré que dans un second temps à partir de son contexte. Dans le cas des salles des marchés, il importait avant tout d'étudier ce contexte organisationnel en raison de sa spécificité.

Nous avons également constaté que notre approche un peu trop 'jeune cadre dynamique' ne nous permettait ni de prendre le recul nécessaire, ni de susciter les témoignages que nous cherchions. Nous avons donc rapidement réajusté notre attitude, en tentant de garder une image de compétence et de disponibilité, mais en évitant les gestes qui pouvaient être considérés comme 'hors norme'. Nous avons cherché à trouver une 'familiarité distante' : être impliqué, mais en restant relativement 'neutre'.

À la fin de cette phase nous avons été appelé à intervenir plus activement dans la salle des marchés.

    1. Observation participante en salle des marchés
      1. L'intégration en tant qu'informaticien de marché
      2. Dans le cadre de notre travail, nous avons suivi deux nouveaux séminaires de formation : le premier proposé par l'INSIG et consacré au "contrôle de gestion des activités de marché". Le second par Decalog consacré à la "gestion des risques". Ceux-ci se sont révélés particulièrement intéressants. Dans la mesure où ils étaient animés par des praticiens, les éléments collectés étaient de ceux que l'on ne trouve pas aisément : ils traçaient une vue d'ensemble des problèmes que rencontre l'organisation tout en étant concrets et précis. Les discussions avec les autres personnes inscrites aux sessions permettaient également de collecter les éléments qui, dans le monde feutré de la banque, 'ne s'écrivent pas'.

        Après notre période d'intégration dans le service d'informatique de marché, nous sommes entré dans une période prolongée d'observation participante. Cette phase était indispensable pour des raisons méthodologiques, dans la mesure où une interaction longue avec le terrain était nécessaire à notre recherche, mais également à la demande de notre employeur. Une présence prolongée du chercheur est d'ailleurs rarement autorisée si l'entreprise n'a aucun intérêt à ce qui va sortir de son travail. Nous présenterons cette phase à partir de la collecte de données dont elle a été l'occasion, mais elle a également un rôle 'productif' du point de vue de l'entreprise. Elle est par là le produit de compromis entre les intérêts de la recherche et ceux des personnes qui autorisent l'observation.

        La structure dans laquelle nous nous sommes intégré n'avait qu'une idée floue de ce que pouvait être la recherche en gestion. Le choix qui s'est présenté à nous était d'éviter le problème en le taisant, ou de provoquer les questions. En sachant qu'il en résulterait un impact direct sur notre marge de liberté, mais aussi sur notre travail de recherche, nous avons opté pour une franchise discrète, sans revendiquer notre objectif de recherche, sans le cacher non plus. Ainsi, notre situation de doctorant était connue mais, à notre surprise, les questions qui nous ont été posées portaient presque aussi souvent sur notre statut dans l'établissement que sur notre sujet de recherche.

      3. Une démarche ethnographique

Pour nous "le réel ne se donne pas comme un spectacle, il ne se révèle que dans le contexte de l'action, par la manière à laquelle il réagit aux opérations à travers lesquelles il est approché". L'interaction avec le terrain n'est pas une perturbation qu'il faut "déparasiter", mais la condition de la production de connaissances. L'inscription de notre démarche à l'intérieur du "paradigme ethnographique" est donc liée à un problème d'accès au terrain, mais surtout à une contrainte d'intelligibilité.

Les définitions de l'observation participante de style ethnographique montrent qu'il s'agit d'une démarche assez exigeante : pour Reeves Sanday "participant observation demands complete commitment to the task of understanding. The ethnographer becomes part of the situation studied in order to feel what it is like for people in that situation". Pour Goffman, elle "consiste à recueillir des données en vous assujettissant, physiquement, moralement et socialement à l'ensemble des contingences qui jouent sur un groupe d'individus ; elle vise à pénétrer, physiquement et écologiquement, dans le périmètre d'interactions propres à une situation sociale, professionnelle, éthique ou autre". Nous cherchions donc, par une immersion dans l'organisation au quotidien, à identifier "ce qui fait sens et ce qui conditionne les pratiques de travail". À ce titre l'empathie jouait un rôle important dans la collecte de données.

Durant cette période paradigmatique de la démarche ethnographique, nous avons opéré des aller-retours entre la programmation d'applications et la mise en tests de leur prototypes, participé à nombre de réunions de travail, observé les évolutions de l'organisation de la salle. A tout ceci, il faudrait ajouter la participation à la vie communautaire, les "pots" et les discussions devant la machine à café.

La collecte de données s'est donc opérée essentiellement en situation de travail ou par observation directe d'événements auxquels nous étions extérieur. On pourrait croire que le travail en convention Cifre permet de résoudre le problème de l'accès au terrain. Ce n'est pas toujours le cas : une fois l'accès à la salle obtenu et en y justifiant sa présence par une prestation de service, il reste délicat d'ouvrir la discussion avec les différents acteurs des salles.

Nous avons opté pour la dernière solution. En fait, même pour définir le cahier des charges d'outils informatiques dont ils ont le plus grand besoin, les opérateurs restent peu disponibles. Face à ce problème nous avons obtenu de passer des séjours prolongés dans la salle à l'occasion de la mise en route de nos applications. Nous avons de la sorte conduit des périodes 'd'observation directe' du fonctionnent du front office, sans y intervenir formellement.

      1. L'identification du chercheur à son terrain et son statut.

L'observation participante présente des risques élevés, notamment ceux d'identification du scientifique aux personnels de l'entreprise et les difficultés de distanciation par rapport au vécu quotidien. Le risque pour le chercheur est de perdre la capacité "à s'affranchir de catégories qui ont le pouvoir de définir son action et l'action de ceux qui l'entourent". À cet égard, les séminaires de recherche conduits par les laboratoires de Dauphine permettent de construire le va-et-vient entre l'immersion et la prise de distance.

L'autre problème de l'observateur participant est celui de l'élucidation du statut qui lui est attribué. "tout étranger à un groupe qui prétend s'y installer pour quelque temps se voit assigner un statut". Il doit occuper une place dans la structure sociale du groupe ou au moins une position pensable dans son système de représentation. Il est vital d'expliciter cette position dans la mesure où elle conditionnera les phénomènes observés dans le cadre des interactions.

Les conventions Cifre ont pour objet la formation : À l'origine nous avons été embauché grâce aux quotas d'apprentissage, permettant par là au chef du service informatique de renforcer son équipe avec l'idée d'apporter un regard neuf à des problèmes récurrents. La convention Cifre a été signée dans le cadre d'un CDD de trois ans en spécifiant que 50% de notre temps serait consacré à la recherche. Dans ces conditions, le statut qui nous a été attribué fut d'abord celui de stagiaire. Celui-ci est plutôt confortable dans la mesure où s'il ne permet pas de participer pleinement au fonctionnement des projets, il justifie que l'on pose des questions. Dans un service, très ouvert, où les sous-traitants étaient nombreux, notre intégration fut ainsi très facile.

Par contre lorsque nous avons cherché à formaliser nos activités sur le système de reporting du département, le problème de l'affectation d'un 'code projet' à la recherche s'est posé. Il a finalement été décidé que la thèse ne serait pas budgétisée et que nous n'interviendrions dans le système qu'à travers les 50% de notre temps consacrés aux projets de développement informatique menés par le service.

Entre notre embauche et le rachat d'Indosuez par le Crédit Agricole, un autre événement intervint : le chef de service qui nous avait engagé entra dans une autre banque. L'arrivée de son remplaçant modifia le programme de développement au sens où les prolongements logiciels prévus ne furent pas lancés. Notre campagne d'entretiens fut donc initiée plus tôt que prévu. Dans cet intervalle, la rotation du personnel devenant importante dans le service, notre statut y évolua vers celui de 'personne-ressource informelle'. De la sorte et grâce à notre position simultanée d'extériorité et d'expérience, dans la mesure ou nous étions parmi les personnes les plus anciennes du service, nous fûmes en position de tisser des relations directes dans l'établissement et au-dehors.

Dans la salle des marchés, notre statut était différent. D'abord parce que la salle ne fonctionne pas à la manière d'un service informatique, ensuite parce que la réputation des informaticiens n'y était pas bonne, l'échec d'un gros projet y ayant fortement hypothéqué leur image. À l'opposé de ce projet reposant sur une informatique 'lourde', notre travail se concentra sur la mise au point d'applications fonctionnant sur les ordinateurs personnels des opérateurs. Un premier logiciel de suivi des opérations et des risques fut développé à partir d'une feuille de calcul écrite par un trader, puis avec son succès d'autres demandes vinrent : d'abord la mise au point d'un programme de 'pricing' (calcul des courbes de point à terme), destiné à aider à la décision et enfin celle d'un système de suivi des opérations sur un desk qui n'était pas du tout informatisé. Les deux premiers systèmes étaient demandés par le desk de 'Change Forward', le dernier par celui de 'Change Spot'. Nous avons également joué un rôle informel de conseil en utilisation d'Excel (un tableur).

Dans notre service d'origine, ce travail sur micro ordinateur ne nous permettait pas de nous intégrer pleinement puisque les gros systèmes (IBM, Vax, Digital) étaient la règle. Par contre la réactivité extrême et l'accessibilité de la micro-informatique furent pour nous le vecteur d'un contact fructueux avec les traders. Nous pouvions d'un jour sur l'autre répondre à leurs demande et parfois les précéder. Les applications que nous mettions en place étant indépendantes des autres systèmes informatiques, elles se révélèrent particulièrement fiables et peu exigeantes en maintenance. Nos rapports avec les opérateurs étaient excellents, et furent l'occasion de nombre de discussions et d'échanges.

    1. Campagne d'entretiens
    2. À partir de la compréhension empirique de notre objet d'étude et de la formulation d'une problématique, nous avons, à partir du mois d'avril 95, formalisé les questions que nous souhaitions éclaircir. Il nous semblait nécessaire de prendre de la distance par rapport au travail dans lequel nous nous étions impliqués et de généraliser la portée de nos observations. Sur la base des contacts que notre année d'observation participante avait suscitée nous avons mené une campagne d'entretiens d'abord à Hong Kong puis sur la place de Paris et celle de Londres sur laquelle nous sommes retourné à quelques mois d'intervalle.

      1. Mise au point d'un guide d'entretien

Contrairement à l'observation participante, la situation d'entretien se présente en séquences bien délimitées (l'entretien est préparé, puis conduit, puis analysé) et se prête plus aisément à l'analyse méthodique. Si les phases exploratoire et d'observation participante nous ont permis de comprendre et de construire le cadre de notre recherche, c'est en entretien nous avons collecté les éléments nombreux et très riches, qui forment le gros des matériaux qui feront, dans le prochain chapitre, l'objet d'une analyse plus formelle.

Mettre en oeuvre un entretien, c'est recourir au "processus fondamental d'interaction entre deux personnes", dans notre cas il était dirigé vers l'élucidation d'un thème unique : l'organisation de la (ou des) salle(s) des marchés dans laquelle intervenait notre locuteur. La nature exploratoire de notre travail nous a conduit à procéder par interviews semi-directives : l'interlocuteur donnait ses interprétations, ses perceptions. En retour, par nos questions ouvertes et notre attitude d'écoute nous cherchions à faciliter et approfondir cette expression. Il fallait que "l'interviewé, se sentant soutenu et compris aille au fond de sa pensée et la livre entièrement".

Comment préserver l'ouverture aux idées nouvelles sans sortir des objectifs de la recherche ? Il y a, dans l'esprit du chercheur, un va-et-vient permanent entre la compréhension de son interlocuteur et la mise en relation de ce qui est exprimé avec la problématique de recherche. Il ne s'agit pas d'intervenir sur le fond, mais sur l'organisation du discours en le centrant sur des thèmes prédéterminés. Les relances jouent un rôle capital à ce sujet, il faut pouvoir les utiliser pour "ramener toujours la compréhension de ce qui est dit par rapport à l'objet de l'entretien". Nous recherchions à la fois l'approfondissement de la pensée et des expériences du locuteur, tout en orientant son témoignage vers les points pertinents. Il nous était également nécessaire d'étayer les opinions exprimées en incitant à les expliciter.

Pourquoi formaliser les objectifs de nos entretiens ? Il ne s'agissait aucunement pour nous de déterminer une liste de questions à poser, mais d'établir un système organisé de thèmes permettant de structurer l'entretien, sans induire un discours commandé. Notre guide d'entretien était également évolutif et nous y avons intégré de nouveaux sujets à explorer au fur et à mesure du temps. Nous y avons également inclus des questions localement pertinentes, par exemple lorsque nous rencontrions des personnes travaillant dans la même salle. Nous pouvions de la sorte revenir sur le même problème exprimé selon différents points de vue.

La trame générale de nos entretiens était la suivante : Après avoir présenté les raisons de notre venue, l'objet de notre étude et donné des assurances sur la confidentialité des propos tenus, nous fonctionnions selon trois registres :

  1. L'identification de notre interlocuteur, destinée à situer le contexte du témoignage : "La première étape d'un entretien voulant recueillir autre chose qu'une information superficielle consiste à chercher la manière dont les sujets eux-mêmes perçoivent les données que l'on veut étudier, quelles sont leurs catégories, leur cadre de référence, leur mode de caractérisation". Le développement des pistes qu'elle suscitait étant souvent extrêmement intéressant,
  2. Ainsi nous prolongions cette phase biographique en détaillant l'activité de notre interlocuteur à partir de son milieu de travail et son métier actuel, plutôt à travers son caractère relationnel que par les savoir-faire mis en jeu,
  3. Quant aux opinions plus générales, par exemple celles concernant les relations entre métiers, nous tentions de mettre en lumière la progression du particulier vers le général qui permettait de les étayer. Ces deux derniers registres étant en général mis en oeuvre successivement.

En entretien avec des opérateurs ou des personnes ayant une connaissance directe des salles des marchés, nos domaines d'investigation étaient les suivants

Les premiers entretiens menés à partir de questions très ouvertes (quels sont vos principaux problèmes ?, Quelles sont les différences entre la salle des marché et les autres milieux dans lesquels vous avez travaillé ?) ont mis en évidence certains thèmes que nous avons ajoutés à notre guide. Afin d'éviter qu'il ne se transforme en questionnaire, nous avons refusé de le communiquer, préférant ne pas le consulter ostensiblement pendant l'entretien puisque nous en connaissions les thèmes par coeur. Dans tous les cas de figure, les questions restaient aussi ouvertes que possible (tant dans leur formulation que dans leur succession), se limitaient à l'élaboration de relances au moment opportun ou permettaient de recentrer l'entretien lorsque l'on s'écartait de son objectif.

      1. L'accès aux acteurs des salles et l'obtention des entretiens

Quelles sources d'information ? Nous l'avons discuté dès le début de l'exposition de cette recherche : les salles des marchés, du moins en ce qui concerne leur organisation sont mal connues. Une des raisons en est simplement la difficulté de leur accès. Une équipe de chercheurs ayant travaillé sur le sujet, en ergonomie, a d'ailleurs jugé utile d'inclure dans leur publication le récit détaillé - et épique - de leurs efforts pour obtenir un rendez-vous ! Pour notre part, nous avons misé sur une stratégie moins rigide et plus rapide. Ayant eu un contact extensif avec des traders et une connaissance directe des salles, il ne nous était plus nécessaire de passer par une phase 'd'initiation'. Par ailleurs, les enquêtes reposant uniquement sur des témoignages de traders présentent des limites :

Face à ces constats, nous avons ouvert notre campagne d'entretiens à d'autres catégories d'acteurs des salles des marchés. Leur contribution pouvant s'appuyer, soit sur une mise en perspective de leur travail d'opérateur consécutive à leur évolution professionnelle, soit sur leur point de vue spécifique. Les premières étaient notamment des anciens opérateurs devenus responsables de salle ou ayant choisi un métier connexe. Les deuxièmes étaient par exemple des informaticiens, consultants, contrôleurs de gestion, stagiaires, inspecteurs de la SFA... De ce fait nous avons développé deux nouveaux guides d'entretien. D'une certaine façon nous cherchions par cette approche à cerner notre objet d'étude plutôt qu'à nous y intégrer comme précédemment.

Comment entrer en contact avec ces sources d'information ? Le milieu de la finance présente une trame tissée entre des personnes fortement mobiles, mais entretenant de multiples relations. C'est sur ce réseau que nous avons choisi de nous appuyer. Cette option est d'ailleurs devenue partie intégrante des entretiens que nous menions : il ne s'agissait pas uniquement de collecter de l'information, mais de nous faire identifier, puis en gagnant la confiance de notre interlocuteur, d'obtenir les recommandations permettant d'accéder à d'autres personnes. Notre démarche est donc très différente de celle des approches quantitatives, qui requièrent une procédure strictement codifiée dans le choix des entretiens, un échantillonnage. Elle permet par contre de rencontrer des interlocuteurs plus disponibles et particulièrement compétents, l'un de leur critères de sélection étant 'la réputation'.

En procédant ainsi, nous sommes rapidement entré en contact avec quelques-uns des réseaux existants dans le milieu des marchés ; Aux premiers entretiens avec nos relations de travail ont succédé des rencontres avec des "personnes-clés". Le monde cambiste associatif, par le truchement de l'association cambiste internationale est devenu un vecteur privilégié de notre progression.

Nous présentons ci-dessous un schéma du réseau de relations que nous avons activé (page suivante) :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réseau de constitution des entretiens

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour les raisons de confidentialité que nous avons mentionnées, il ne nous est pas possible d'expliciter complètement ce diagramme. Sa structure est par contre très représentative de notre démarche.

quelques réserves cependant : ce diagramme ne met pas en évidence tous les entretiens que nous avons menés avec nos relations directes nouées en observation participante, ni toutes les tentatives infructueuses. Celles-ci sont parfois nombreuses, en particulier à Hong Kong. La brièveté de notre séjour en est un motif, mais non le seul, il faut compter avec la faiblesse de nos relations à l'époque. Notre taux de réussite s'est grandement amélioré par la suite. La nature des entretiens conduits a également évolué, la qualité de nos contacts autorisant des entretiens plus approfondis.

      1. Conduite des entretiens et validation

Au total trente quatre heures d'entretiens avec une trentaine d'interlocuteurs ont donné lieu à formalisation, la plupart dans des conditions favorables du point de vue de leur atmosphère ouverte et franche, des conditions de leur réalisation (temps disponible) et de la qualité de nos interlocuteurs. Il n'y a pas eu à proprement parler de solution de continuité avec notre phase d'observation participante. À cause de leur recouvrement d'abord, et ensuite parce que l'éventail des types d'entretiens s'est révélé assez large. Depuis les notes prises durant nos journées d'observation dans la salle des marchés de la CNCA jusqu'aux entretiens les plus approfondis, en passant par des visites 'rapides' en salle.

Tous ces matériaux ont été regroupés dans le 'fichier de dépouillement' verrouillé par un mot de passe auquel nous avons fait précédemment référence. Certains ont donné lieu à de nouveaux rendez-vous ou suggéré des points à éclaircir. À l'inverse, d'autres entretiens se sont révélés pauvres en informations nouvelles.

Malgré les problèmes de confidentialité, la plupart de nos entretiens ont été enregistrés. Vingt-trois cassettes ont été réécoutées et leurs informations extraites. Les données concernant chaque thème abordé ont été regroupées sous en sous-chapitres à l'intérieur de chaque entretien. Réécouter nos premiers entretiens nous a également permis d'améliorer ceux qui leurs succédèrent. Étant donné le temps de dépouillement considérable, ainsi que notre sentiment que les données collectées devenaient redondantes, nous avons opté dans les derniers temps de notre recherche pour un dépouillement 'direct' sur la base de nos notes.

La formalisation du contenu de nos entretiens donnait simultanément lieu à une validation des informations. La souplesse de la collecte par entretien ne doit en effet laisser croire ni à la spontanéité du témoin, ni à la neutralité du chercheur. Il faut au contraire analyser le statut de l'entretien et la relation qui lie l'interviewé et l'enquêteur. Dans notre formalisation des informations obtenues en entretien, nous avons notamment tenu compte des facteurs suivants :

Parmi les entretiens menés avec des opérateurs, une minorité significative a révélé certaines des restrictions de l'approche semi-directive : certains traders déclinant purement et simplement les questions ouvertes ! Ils répondaient par 'jets', de façon extrêmement brève, puis examinaient notre réaction et attendaient la question suivante. Face à cette situation déstabilisante et à l'échec des relances ouvertes, nous avons adopté une position tout à fait différente. En élevant des objections, en allant parfois jusqu'à être polémique nous avons cherché à montrer que nous n'étions 'pas dupe' de certaines réponses. Ces interviews du "tac au tac", justifient a posteriori notre pratique préalable du milieu sans laquelle nous aurions été purement et simplement rejetés. À ce titre, et bien que ce type d'entretien ne soit pas conforme au cadre exploratoire que nous nous sommes fixé et outre leur coté stimulant, ces interviews nous ont ouvert l'accès à d'autres témoins, validant notre compréhension du milieu. De fait, le problème que nous décrivons est analogue à ceux que nous avons rencontré comme ingénieur informaticien : nombre d'opérateurs agissent surtout 'en réaction'. Une réactivité vive et rapide, mais qui exclut la formalisation des besoins avant qu'ils n'apparaissent.

De surcroît, ces expériences constituent l'occasion de réfléchir sur l'articulation des phases du protocole de collecte de données que nous avons mené et l'intérêt qu'elle présente. En quoi contribuent-elles à lui conférer une nature synergique, cumulative ?

    1. Cohérence du protocole : de la triangulation à la 'field study'
    2. Comment poser un bilan de notre protocole d'investigation ? Doit-il s'exprimer comme une succession de phases ayant chacune un objectif et une durée délimitée ? En d'autres termes y-a-t'il solution de continuité entre ces phases ? Nous pensons avoir démontré que ce n'est pas le cas et que la démarche d'investigation que nous l'avons mise en oeuvre ne peut être perçue qu'en tant que système. Nous reviendrons tout d'abord sur la combinaison de méthodes telle qu'elle est abordée à travers le concept de triangulation, puis nous tenterons d'appréhender de manière plus approfondie la démarche d'étude de 'situations de gestion dans leur contexte réel' que nous avons conduite.

      1. La triangulation

À l'origine, l'idée de combiner différentes méthodes d'investigation en sciences sociales pour mieux cerner, "trianguler", un phénomène remonte à Campbell et Fiske. Ceux-ci estiment qu'il est souhaitable d'utiliser plusieurs méthodes de collecte "pour s'assurer que la variance provient du phénomène étudié et non de la méthode". Défini de façon générale comme "la combinaison de méthodologies dans l'étude d'un même phénomène", le terme de triangulation est emprunté à l'arpentage qui utilise plusieurs point de référence pour déterminer la position exacte d'un objet.

Pour Jick, il existe un continuum des démarches de triangulation qui se révèlent adaptées à des objets d'étude plus ou moins complexes :

 

 

 

 

axes des démarches

 

 

 

 

 

Il est possible, selon l'objet d'étude que l'on se donne, de combiner les démarches d'investigation de façon plus ou moins sophistiquée :

  1. La plus simple consiste dans la construction d'échelles quantitatives à partir d'une étude exploratoire qualitative ou à l'inverse dans l'utilisation d'observations de terrain pour conforter des données statistiques. Smith remarque que ce type de "triangulation primitive" se rapproche plus souvent d'une succession de méthodes que d'une réelle combinaison de celles-ci.
  2. Une deuxième forme de triangulation est citée par Denzin, elle consiste à recouper les informations issues de sources différentes ou de méthodes indépendantes. Nous pouvons également nous référer à Glaser et Strauss qui, lorsqu'ils proposent d'utiliser "la méthode comparative continue", visent renforcer la validité des résultats par comparaison de groupes multiples. Pour cela, ils mettent en oeuvre à la fois l'analyse de documents, l'observation directe et l'observation participante.
  3. Mais, d'après Jick, pour arriver à produire une "interprétation holistique" d'une situation complexe, il faut mettre en oeuvre une réelle union de démarches. Les faiblesses de chacune étant compensées par les forces des autres. Dans le cadre des case studies, Yin n'hésite pas à associer différentes sources pour permettre au chercheur d'appréhender une plus vaste étendue de problèmes. Cette sensibilité aux multiples foyers de données permet d'entretenir une meilleure proximité à la situation, de ressentir "dans ses os" la pertinence de l'analyse.

Quelles sont les démarches auxquelles nous avons fait appel ? Elles sont au nombre de trois.

 

 

 

 

triangle observ participante / analyse / entretiens

 

 

 

 

 

 

faisons un bilan de leurs caractéristiques : ce tableau est inspiré du modèle de De Bruyne, Herman et De Schoutheete, très largement adapté et remanié (page suivante).

Mode de collecte

Obstacles

Avantages

Types d'informations

Analyse documentaire :

  • livres (biographies, entretiens..)
  • journaux
  • bulletins d'information d'associations
  • sources internes
  • annuaires
  • rapports de stages
  • travaux scientifiques
  • ..
  • difficulté d'accès (secret)
  • impossibilité de citer (confidentialité des documents)
  • l'important n'est pas toujours écrit
  • données 'non réactives'
  • économie de temps
  • citation possible
  • opinions et faits assumés
  • Observation participante :

    • rejet de l'observateur
    • à l'inverse socialisation excessive et perte d'objectivité 'to go native'
    • ne pas assister à l'événement intéressant, qui peut être fortuit
    • difficulté à prendre des notes au milieu de l'action
    • quelle justification de la présence ? (un apport à l'activité)
    • modification de l'objet d'étude
    • problème éthique
    • abondance de données

    • relation moins artificielle
    • quantité et qualité accrue des informations
  • 'vécu' du chercheur
  • observation des faits et des événements ('theory in use')
  • phénomènes latents (qui échappent aux sujets)
  • discussion 'sur le vif' pendant ou juste après l'événement
  • relation de travail durable, partage
  • discussions 'de machine à café', rumeurs
  • Entretiens :

    • semi-directifs (guide d'entretien)
  • barrières à la confiance
  • mécanismes de défense (fuite, rationalisation, conformisme..)
  • subjectivité
  • disparités entre déclarations et comportements
  • inadéquation du langage au vécu
  • incompréhension mutuelle.
  • Accès au terrain (progression par 'recommandations')
    • Incitation spontanée à répondre (politesse, accueil, désir de communiquer)
    • on se rapproche de l'expérimentation dans la mesure où l'on choisit les sujets abordés
    • flexibilité

    Opinions exprimées sur :

    • les événements
    • les autres
    • soi-même

     

    • réaction en retour à une restitution de l'information

     

    Notre démarche relève donc bien d'une triangulation dans la mesure où nous faisons appel à des méthodes d'investigation variées. Mais où nous situons nous alors dans l'échelle de Jick ? S'il s'agit bien pour nous d'associer les points forts de chaque méthode, nous ne pouvons nous situer dans la démarche de type regroupant des méthodes indépendantes dans un but de validation. En effet, notre objectif s'apparente plus à une étude de définition qu'à la simple validation d'hypothèses et les méthodes que nous mettons en oeuvre ne peuvent en aucune manière être considérées comme indépendantes. C'est au contraire leur combinaison qui est au centre de notre démarche. Sommes-nous pour autant dans une situation de triangulation holistique ?

    Oui dans la mesure où c'est de cette synergie des situations de recherche que nous espérons tirer des résultats originaux. Mais le concept de triangulation ne prend pas en compte d'autres éléments essentiels du protocole d'étude des salles des marchés que nous avons mis en oeuvre. Il nous faut pour cela revenir sur les deux principes fondamentaux de notre démarche de recherche d'informations que nous avons établis au début de ce chapitre : la nature exploratoire de notre travail d'abord, puis sa vocation à étudier les "situations de gestion" telles qu'elles se dévoilent sur le terrain par la 'field research'.

        1. Recherche de terrain et 'posture de recherche'

    Comme nous l'avions spécifié en mettant en avant la vocation exploratoire de notre étude, notre recherche ne peut, par son objet même se conduire de façon prévue et linéaire. Plus qu'un système de démarches d'investigation, "les hypothèses et mêmes les questions sont susceptibles d'évoluer constamment au fur et à mesure (de la recherche). En retour, le travail empirique se verra régulièrement réorienté en fonction des approfondissements successifs du cadre théorique". La construction théorique et l'étude empirique ne se situent plus dans un ordre séquentiel. Les opérations se combinent, rétroagissent, plus qu'elles ne s'enchaînent (schéma page suivante):

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    2 cycles de la démarche exploratoire

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    en cela nous nous situons dans la tradition de la 'field study' ou 'recherche de terrain'.

    Mais elle pose au chercheur une série de problème spécifiques. Dans sa réflexion sur le sujet Burgess souligne les difficultés rencontrées par le chercheur.

    À cela nous ajouterons la variété des rapports chercheur / terrain. On peut l'exprimer en localisant la situation du chercheur sur 2 axes :

     

     

     

     

     

     

    2 axes, autonomie / dépendance ; distanciation / engagement

     

     

     

     

     

     

    À chaque étape et dans chacune des positions qu'il doit adopter se posent des problèmes spécifiques :

    1. La phase exploratoire ressemble au journalisme d'investigation. La position est celle d'un étranger au terrain. Il s'agit de savoir de quoi il retourne, de comprendre les expressions utilisées. Le problème essentiel est celui de l'entrée sur le terrain.
    2. En observation participante, l'entrée sur le terrain est un donné. Le risque est au contraire d'être dévoré par les demandes venant de l'organisation, surtout en salle des marchés où il est difficile d'être à moitié engagé. Le problème est celui du double statut de chercheur et d'acteur et des risques "d'indigénisation" afférents. C'est alors dans l'interaction qu'il faut reconstituer une distance.
    3. Lors des entretiens, le problème de l'accès au terrain se pose à nouveau. La problématique de la position de recherche est axée autour rapport interviewer / interviewé qui se noue. C'est de cette situation d'échange que dépend la qualité des témoignages recueillis.

    Il y a donc évolution de la posture de recherche au fur et à mesure de la démarche. En fait, il n'y a pas une mais des postures successives et très différentes les unes des autres. Au delà de la triangulation des méthodes d'investigation, il y a également triangulation des postures. Celles-ci sont appelées à compléter dans un mouvement de construction et de mise en cohérence des possibilités ouvertes, des contraintes personnelles du chercheur et des exigences de l'étude.

        1. Conclusions

    À l'issue du retour que nous venons de faire sur notre protocole de recherche, il nous faut exprimer quelques remarques :

     

     

    Notes :

    Saut de section pour les notes de fin.

      1. Bibliographie
        1. Articles et ouvrages
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        3. Séminaires de recherche

    Notamment ceux de Michel Liu (représentation de situations complexes, méthodologie) et de Norbert Alter (méthodologie et posture de recherche), ainsi qu'un séminaire 'informel' entre doctorants en contrôle de gestion d'HEC et de Dauphine.

    Chacun de ces séminaires a été l'occasion d'une présentation de mes travaux.